Publié le 25 janvier 2019

Impact de la légalisation du cannabis relativement à la sécurité incendie

Comme annoncé par le Gouvernement du Canada, depuis le 17 octobre 2018, la consommation de cannabis est légalisée au Canada. Ce changement législatif a poussé plusieurs secteurs d’activité économique à réfléchir aux impacts d’un tel changement au sein de leurs pratiques et les acteurs de la sécurité incendie n’y échappent pas. Est-ce que la légalisation du cannabis peut faire augmenter le taux d’incendie au Québec? Mme Catherine Dicaire, chimiste chez Origin Enquêtes technico légales inc. et ex-employée du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale du Québec, vous présente une réflexion sur le sujet.

Selon les statistiques publiées sur la sécurité incendie du Ministère de la Sécurité publique, on dénombre en moyenne 18 500 incendies déclarés par année, entre 2010 et 2015, dans la province de Québec. En 2015, dans environ 20 % de ces cas, la source de chaleur, enregistrée par les pompiers préventionnistes responsables de la recherche des causes et des circonstances d’incendie (RCCI), est reliée à un article de fumeur ou à un objet à flamme nue (Ministère de la Sécurité publique, 2018). Est-ce que la consommation de cannabis peut faire augmenter ces statistiques?

Tout d’abord, il faut savoir que les cigarettes qui sont importées pour être vendues au Canada, ou qui sont produites ici, doivent toutes être identifiées comme étant « à potentiel incendiaire réduit », et ce, depuis que Santé Canada a adopté une loi, en octobre 2015, visant à réduire les incendies causés par les articles de fumeur (Santé Canada, 2002). Concrètement, les fabricants peuvent réduire la densité de tabac dans les cigarettes, réduire la porosité du papier utilisé ou y ajouter des additifs « retardateurs de flammes », ou encore diminuer la circonférence des cigarettes. Ces actions font en sorte que les cigarettes ne brûlent pas complètement une fois allumées et ce, dans plus de 75 % des cas (selon la méthode ASTM E2187‑04). Les fabricants américains, quant à eux, utilisent un procédé breveté consistant à appliquer des bandes de papier concentriques à intervalles réguliers sur la longueur de la cigarette, typiquement appelé « speed bumps », qui a pour effet de ralentir et même d’arrêter, dans certains cas, la combustion.

De plus, peu d’études ont été faites sur la propension des cigarettes de cannabis à mettre le feu. La National Association of Fire Investigators (NAFI) a publié un article sur son site Internet en 2016, lequel faisait état de tests réalisés afin de démontrer le potentiel incendiaire et la propension à allumer du matériel combustible adjacent pour des cigarettes de tabac, comparativement à des cigarettes de marijuana (Jason J., 2014). Les résultats de cette étude révèlent que les cigarettes de marijuana testées, qu’elles soient roulées à la main ou préroulées, ont moins tendance à brûler en entier, comparativement à leurs équivalentes composées de tabac. De plus, il est à noter que cette propension est directement reliée au type de cannabis.

En effet, le cannabis est une plante annuelle de la famille des Cannabaceae originaire d’Asie (Wikipedia, 2018). On en retrouve trois sous-espèces ou variétés, soit sativa, indica et spontanea. Celles-ci contiennent plusieurs substances chimiques synthétisées par la plante, appelées cannabinoïdes, dont certaines possèdent des propriétés psychoactives (THC), des vertus anti-inflammatoires (CBD) ou anti-métastatiques. La culture et l’hybridation de différentes souches de cannabis permettent de contrôler le taux de certains de ces cannabinoïdes dans la plante. La portion de la plante qui est généralement consommée correspond à la fleur non pollinisée des plants femelles, communément appelée « cocotte ». Cette fleur est gorgée d’huile dont la concentration dépend, entre autres, du type de cannabis. Une partie de cette huile est conservée lors de la transformation et se retrouve dans la cigarette. Aussi, lorsqu’une cigarette de cannabis est allumée, elle a tendance à s’éteindre toute seule à cause de la présence de cette huile qui rend la combustion plus difficile. De plus, cette huile a tendance à se diffuser à travers le papier, une fois ce dernier pyrolysé, et causer l’extinction naturelle de la cigarette.

Bien que les études démontrent que les cigarettes de cannabis ont une plus forte tendance à s’éteindre toutes seules et qu’elles représentent donc un danger limité en comparaison avec les cigarettes de tabac, il n’en reste pas moins que les articles de fumeur représentent une proportion importante des facteurs de risque pour tous les feux. En conséquence, il est assuré que les cigarettes de cannabis seront aussi mises en cause. Il ne faut pas oublier que la consommation de cannabis à haute teneur en THC affecte les fonctions cognitives. Il sera donc plus difficile de connaître avec exactitude les agissements des consommateurs avant un incendie si ceux-ci ont consommé du cannabis. De plus, les réflexes étant également affectés, les mégots risquent de se retrouver plus souvent hors des cendriers, oubliés sur un canapé ou placés dans les pots de fleurs.

De plus, la transformation artisanale de cannabis est un procédé qui s’effectue à l’aide de solvants très volatils et extrêmement inflammables, tels que le butane ou différents distillats légers de pétrole (essence à briquet, combustible à camping, naphta, etc.). La transformation implique l’évaporation de grandes quantités de solvant. Ces vapeurs ne nécessitent ensuite qu’une source d’allumage adéquate, telle qu’une flamme vive (ex. : briquet, chandelle, etc.) ou une étincelle (ex. : démarrage du réfrigérateur, charge d’électricité statique, etc.) pour s’enflammer.

En conclusion, la légalisation du cannabis a des répercussions sur la sécurité incendie et a provoqué assurément un changement dans le domaine de la recherche des causes et des circonstances d’incendie (RCCI).

À propos

Catherine Dicaire B. Sc., chimiste, NAFI-CFEI
Experte en incendie
Experte en chimie
Formatrice hors pair, articulée et attentionnée aux besoins des participants, Catherine est aussi active sur le terrain, où son expertise en chimie contribue à la résolution des dossiers d’incendie les plus complexes.